miércoles, 26 de noviembre de 2008

Le monde en 2 000 photos

Barcelone Envoyé spécial

C'est un monstre que présente le Musée d'art contemporain de Barcelone, un monstre que l'on croyait rayé de la planète art. Pas moins de 2 000 photographies sont accrochées sur deux étages de ce paquebot blanc dessiné par Richard Meier. Sans compter des films documentaires, des journaux, magazines, livres sous vitrine... Autant dire qu'il faut deux jours pour assimiler cette épopée photographique qui fera date, pas seulement parce qu'elle est peut-être la plus grosse exposition jamais organisée dans le monde.




Son titre, "Universal Archive", appelle déjà la démesure. Et son sujet n'arrange pas les choses : comment 250 photographes, célèbres ou pas, partout dans le monde, ont saisi un appareil pour décrire, révéler, dénoncer, magnifier, caricaturer la vie de l'homme et son environnement, du XIXe siècle à nos jours. Le spectateur n'a pas le loisir de papillonner devant des gestes esthétiques. Il doit s'arrêter longtemps, image par image, devant des petits formats, le plus souvent en noir et blanc, pour comprendre, saisir l'enjeu, lire un texte instructif. "Dur plaisir", disait Cartier-Bresson.

Le sujet est trop large pour en être un. Sauf que ses concepteurs, le patron du musée, Bartolomeu Mari, et Jorge Ribalta, ont serré le propos, à grands coups de convictions, en quatre thèmes : l'image de la victime (1907-1943), l'image comme propagande (1928-1955), la représentation de la figure humaine (années 1920 à 1960), et la représentation du paysage naturel ou urbain (1851 à 1980).

On pourrait débattre des heures sur une exposition dans laquelle on peut vite se perdre. Saluons plutôt ses atouts. Le premier est la réunion extravagante de chefs-d'oeuvre et de curiosités. Des dizaines de grands noms de la photo, de Le Gray à Robert Frank, tous représentés par des épreuves venant de musées mondiaux, côtoient des auteurs à découvrir. Comme l'Anglais Humphrey Jennings qui, dans un film de quatorze minutes, répond à cette question : "Entre travailler et dormir, comment la classe ouvrière occupe son temps ?" (Spare Time, 1939).

Autre atout. Beaucoup de photographes sont représentés non par une, mais par plusieurs images, afin de se faire une idée de leur travail. L'exposition commence fort, avec 18 photos de l'Américain Lewis Hine, sur les enfants au travail, autour de 1900. Suivent 20 portraits d'Allemands par August Sander durant l'entre-deux guerres, 30 Atget sur les délaissés de la zone, autour du Paris de 1900. Un ensemble de Dorothea Lange qui reprend telle quelle une exposition de 1962 sur la Dépression aux Etats-Unis, 20 Marville sur la construction du Paris haussmannien, 14 Berenice Abbott sur New York en mutation, 44 parmi les plus beaux livres de photos des années 1930-1950 posés sur une table. Rien que pour le XIXe siècle, 128 photos et 16 albums...

Mais "Universal Archive" va plus loin. C'est une exposition à thèse : la photographie y est analysée comme document, pour son contenu plus que pour ses formes, en insistant sur la façon dont ces images se sont imposées auprès du public. "Le rôle historique de la photo est d'abord de représenter le monde, dit Jorge Ribalta. Si ce rôle disparaît, c'est la photo en général qui meurt."

Vision naïve ? Pas du tout. Mari et Ribalta ne croient pas que la photo montre la réalité, mais qu'il s'agit au contraire d'une construction à but social, politique, environnemental, médiatique. Prenons l'image de la victime, qui confronte capitalisme et communisme. A ce jeu, l'Occident est vu comme un enfer : gamins new-yorkais de 12 ans qui s'épuisent au travail chez Lewis Hine, exode de fermiers américains en 1936, désespoir des mineurs en grève dans le Borinage belge (film documentaire de Joris Ivens et Henri Storck). A côté, l'URSS de Staline est un paradis, se dit-on, à la vue des images d'Arkadi Shaikhet et Max Alpert, titrées Un jour dans la vie d'une famille de la classe ouvrière à Moscou (1931) : travail avec le sourire, repas abondant, enfants gais, loisirs. Commentaire de Ribalta : "Le sujet, ce n'est pas ce qui est montré, mais la fabrication de l'opinion."

La deuxième section, sur la propagande, creuse un peu plus ce sillon. Elle s'ouvre par la reconstitution du pavillon soviétique à l'Exposition universelle de Stuttgart, en 1929 : des images d'une vingtaine d'artistes, dont Rodtchenko et Lissitzky sont clouées sur une structure en bois à la Mondrian. Ce pavillon est suivi par un diaporama dans lequel sont passées en revue dix méga-manifestations des années 1930 à 1950, où chaque pays fait sa promotion par l'image.

La dernière est "Family of Man", créée à New York en 1955, qui, après les horreurs de la guerre, a pour but de rassurer les peuples sur le thème d'un homme universellement bon : 9 millions de personnes ont vu cette exposition "humaniste" qui a voyagé dans une trentaine de pays.

Les 2 000 images de Barcelone suivent cette ligne : dans quel cadre sociopolitique sont-elles faites, à quoi ont-elles servi ? Qu'un musée d'art contemporain, alors que la grande majorité des images sont historiques, se lance dans un tel projet est assez culotté. "Les grands musées sont trop préoccupés par les formes, pas assez par l'usage des images", dit Ribalta. Dommage qu'il n'y ait pas de catalogue. Mais il y a pire ville que Barcelone à visiter pour plonger dans notre histoire visuelle.

"Universal Archive",

Musée d'art contemporain de Barcelone, Plaça dels Angels, 08001 Barcelone. Tél. : 00-34- 934-120-810. Le lundi et de mercredi à vendredi, de 11 heures à 19 h 30 ; samedi, à partir de 10 heures ; dimanche jusqu'à 15 heures ; fermé le mardi. Jusqu'au 6 janvier 2009.

Michel Guerrin

Des Français à l'honneur en Catalogne

L'exposition "Universal Archive" ne se limite pas à un voyage mondial dans les images. Pour boucler la boucle, et pour que le public barcelonais se retrouve dans ce fleuve tourbillonnant, Bartolomeu Mari et Jorge Ribalta ont ajouté deux sections "locales". Ils montrent d'abord comment la capitale catalane a été photographiée au XXe siècle. Ils ont ensuite passé commande à seize photographes de style documentaire qui ont, chacun, traité une thématique barcelonaise. A côté du Sud-Africain David Goldblatt ou des Américains Allan Sekula et William Klein, on trouve quatre Français. Marc Pataut a travaillé sur une usine de montage des voitures Seat, Patrick Faigenbaum a tiré le portrait de l'élite politique et économique, Gilles Saussier a donné forme au réseau économique chinois, Jean-Louis Schoellkopf a photographié l'association des Latin Kings. C'est une belle présence qui résonne avec les signatures illustres du passé. Ce sont aussi des photographes - cet événement le prouve - plus exposés à l'étranger qu'en France.

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